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Cannabis récréatif : ce que contient (vraiment) le rapport

Bonjour à toutes et tous,

Comme vous le savez, j’ai achevé et présenté le 5 mai mon rapport sur le cannabis récréatif que je portais comme rapporteure thématique au sein de la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis (MIC), lancée au début de l’année 2020.

Le rapport est accessible dans son intégralité à l’adresse suivante. J’ai jugé utile de revenir sur ce qu’il contient, au regard de la sensibilité très forte de cette question parfois caricaturée, au croisement des questions de santé publique, de sécurité, d’économie et de lien social.

PHASE 1 : SAVOIR DE QUOI ON PARLE

Ce rapport sur le cannabis récréatif fait avant tout le choix de l’objectivité des faits face aux discours militants de part et d’autre. C’est pourquoi l’analyse de la politique actuelle en matière de répression du cannabis a été conduite quasiment sous la forme d’un contrôle de gestion : j’ai comparé les moyens d’un côté, et les résultats de l’autre. Il s’avère que les objectifs fixés aujourd’hui ressemblent à ceux d’hier : lutter contre la consommation à des fins de santé publique mais aussi de lutte contre les trafics pour améliorer la sécurité des quartiers concernés. Alors, une réussite ou un échec ?

J’ai rassemblé des données sur le nombre d’interpellations mais également sur le coût de ces contrôles pour les finances de l’Etat, ainsi que sur la mise en œuvre réelle des sanctions. Parole aux experts : la MIC a auditionné dans ce but les représentants de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des procureurs généraux, tout en utilisant les données de l’Office français des drogues et des toxicomanies et de son équivalent européen. Nous avons aussi auditionné des spécialistes : sociologues, médecins et chercheurs (en psychiatrie, addictologie, toxicologie, pédopsychiatrie, pharmacologie), criminologues mais aussi une journaliste d’investigation et un ancien policier infiltré dans le milieu ont été entendus par la MIC. Enfin, nous avons tenu à auditionner des maires, des associations ou encore des fonctionnaires de l’Education nationale.

La conclusion de ces travaux est sans appel : la politique actuelle coûte cher, elle sollicite trop les forces de l’ordre et elle n’aboutit à faire diminuer ni l’usage ni le trafic de cannabis. Le discours politique et la réalité sociale sont à présent très loin l’un de l’autre, volontarisme d’un côté, violence et désespoir de l’autre.

Tous les scientifiques ont rappelé les ravages que peut causer le THC, principe actif du cannabis qui peut conduire chez les jeunes à des troubles psychiques et psychiatriques et dont la concentration augmente d’année en année dans les produits clandestins. A côté de ce constat, ajoutons-en un autre : la prévention scolaire et la prise en charge sanitaire ne sont pas à la hauteur. Elles en sont loin.

A ce stade, la nécessité de changer de cap devient une évidence.

PHASE 2 : TIRER LES LECONS DE L’ETRANGER

La politique répressive menée depuis 1970 ne fonctionne donc pas comme escompté. Et chez les autres ? Le rapport passe donc au crible les politiques menées à l’étranger, leurs réussites et leurs limites. Pour cela, nous avons regardé les conséquences d’une politique sortant de la prohibition absolue, à la fois en Europe (Pays-Bas, Portugal et Luxembourg) et ailleurs (Uruguay, Canada et Etats-Unis) en tentant au maximum d’analyser ces différentes situations sans biais idéologiques ou préjugés moraux qui fausseraient les faits. Je vous propose un tour d’horizon à travers le monde.

  • En Uruguay, la réforme de 2013 a été la rupture la plus nette du consensus international prohibitif. Le modèle uruguayen de légalisation du cannabis implique un fort contrôle de l’Etat (de la production à la distribution). Les différents retards de mise en œuvre des infrastructures conduisent à un bilan en demi-teinte à ce stade.
  • Aux Etats-Unis, plusieurs Etats américains ont été précurseurs d’une évolution, comme le Colorado, Washington, l’Oregon ou encore l’Alaska au début des années 2010. Leur modèle, cette fois, tourne autour de l’économie de marché par des licences professionnelles attribuées à des acteurs privés. Comme au Canada, des règles strictes de protection des mineurs ont été posées, ainsi qu’une fiscalité spécifique. Le Canada a cependant choisi une troisième voie concernant la légalisation, puisqu’elle combine des monopoles publics et des opérateurs privés sous licence selon le territoire concerné dans cet Etat fédéral. Ces expériences en Amérique du Nord sont trop récentes pour en dresser un bilan final, mais les premières données montrent que l’évolution n’a pas mené les jeunes à consommer davantage. En fait, au Canada, elle a visiblement un peu diminué depuis. Par ailleurs, les circuits légaux de distribution aux USA et au Canada font chuter le marché noir, qui existe encore mais de façon très limitée.
  • Au Portugal, la dépénalisation du cannabis en l’an 2000 en deçà d’un certain seuil, associée à une considération du consommateur comme un patient nécessitant un traitement médical plutôt que comme un délinquant a bien permis de faire diminuer la consommation.
  • Au Luxembourg et aux Pays-Bas, on constate une volonté politique affirmée depuis quelques temps mais qui ne s’est pas encore traduite en actes aussi poussés. La réforme annoncée en 2018 au Luxembourg n’a pas encore pris forme. Les Pays-Bas, considérés dans l’imaginaire populaire français comme le “paradis des fumeurs”, a fait le choix d’une dépénalisation.

PHASE 3 : BRISER LE TABOU ET REGARDER LA REALITE EN FACE

Plus de 50 ans après l’entrée en vigueur de la loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970, la France est toujours prisonnière d’une ornière idéologique qui l’empêche de se dégager d’une impasse sécuritaire et sanitaire qu’elle a elle-même créée.

L’actualité politique et les débats autour du cannabis récréatif rythmèrent les travaux de fond de la mission d’information. Nous avons collectivement fait le constat que les discours réducteurs, voire caricaturaux, résonnaient de façon diamétralement opposée aux premières observations faites par notre groupe transpartisan. Une évolution de la loi en matière de cannabis récréatif semble être un tabou politique, à l’heure où l’alternative – le statu quo – nous a trop montrés l’impasse dans laquelle se trouve la France dans ce domaine.

Pourtant, les Français n’y sont pas aussi hostiles qu’on le dit. Les nombreuses consultations citoyennes réalisées sur le sujet, à commencer par celle de l’Assemblée nationale en février 2021, et les sondages d’instituts réputés montrent tous une prise de conscience réelle en faveur d’une réforme de la politique en la matière. C’est pourquoi il sera nécessaire d’associer les citoyens à cette évolution légale, grâce aux outils de mobilisation nationale dont, pourquoi pas, le référendum.

J’ai identifié six objectifs pour la future réforme :

  1. Réduire la délinquance dans un souci de justice sociale ;
  2. Assécher le marché noir ;
  3. Protéger nos jeunes des effets délétères du THC ;
  4. Prévenir et sensibiliser (notamment les jeunes) à l’usage du cannabis ;
  5. Eviter l’apparition d’un “Big Cannabusiness” ;
  6. Permettre le développement d’une nouvelle filière économique.

Dans ce cadre, il est évident – au vu du tour d’horizon présenté tout à l’heure – qu’il n’y a pas un mais bien des modèles de régulation du cannabis. Ainsi, se dire en faveur de la légalisation du cannabis ne résout pas la question, mais au contraire en ouvre d’autres, tout aussi complexes et sensibles.

Mon objectif : définir un modèle français de légalisation réglementée, nourri des conclusions de l’étranger mais aussi des spécificités de notre pays. Cela implique entre autres de :

  1. Définir un circuit de production et de distribution = qui est autorisé à produire, et à vendre du cannabis à usage récréatif ? Monopole public, économie de marché ou troisième voie ? Quid de l’autoproduction ?
  2. Définir les modalités de fixation du prix = comment le prix de ce cannabis sera-t-il défini ? Comment s’assurer de la juste rémunération des producteurs et des distributeurs, tout en maintenant un prix assez bas pour mettre un terme au marché noir ?

PHASE 4 : REFLEXIONS POUR L’AVENIR

A l’heure où j’écris ces lignes, l’approche prohibitionniste en vigueur se concentre sur la lutte contre les trafics. Et la santé dans tout cela ?

Avec la légalisation, la question sanitaire s’imposera aux côtés des autres volets de la politique publique. Il s’agira donc de définir l’étendue des formes de publicité des produits, les lieux publics où la consommation restera éventuellement interdite ou encore les modalités de restriction d’accès aux jeunes.

Bref, il sera indispensable de faire naître une « loi Évin » du cannabis.

Enfin, aux côtés de la question sanitaire se pose la question sociale : nous devrons travailler à la réinsertion des anciens trafiquants, dont certains sont par ailleurs très jeunes, ainsi qu’au renforcement des sanctions contre ceux qui continueront leur trafic illégal. Il en va de la sécurité de l’ensemble des zones urbaines.

Avec ce rapport, je ne prétends pas imposer un modèle détaillé pour l’avenir du cannabis à usage récréatif. Je fais le choix de faire sauter le tabou pour mettre fin aux polémiques stériles et pour ouvrir un débat basé sur la réalité des faits, confiante en la capacité et en la volonté des citoyens à penser l’avenir de la législation.

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